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6 mars 2022 7 06 /03 /mars /2022 23:41
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31 janvier 2022 1 31 /01 /janvier /2022 20:25

Ne pèse rien, qui ne soit pour la peine
Plantée en terre, couverte de lumière,
Ne pèse qu'un poids de perle, ouatée
– c'est léger comme c'est donné –

 

Ne pèse qu'avec les racines, trouée
Qu'avec le lien dénoué, les choses s'
Évanouissent et cessent de peser. –
Léger comme c'est donné. –

 

Insolente, la perle, diaprée, toute
Prête à crever, bulle rêvée qu'on
Aurait explosée, là sur le pavé, et
Surtout n'oublie rien de rêver.

 

Poids de peine. Liquide, ombres
Versées, ne pèse qu'un peu de
Terre entre racines nouées, la
Bulle étrange est prête à crever

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30 janvier 2022 7 30 /01 /janvier /2022 19:27

C'était la bulle, songe Jean, assis sur les marches devant l'hôtel. Il ne l'aurait, pour rien au monde, touchée. De peur d'en faire quelque chose de plus chétif. C'est beaucoup dire ! et avec ça, Jean rit, secoué, de plus en plus secoué par la certitude qu'elle aurait crevé. Pourtant toucher sa peau moite, c'est encore ce que, une heure plus tôt, il aurait fait. Beaucoup de fois, et en rêve, il aura touché cette peau, glissé sur cette peau comme une carpe qui se débat, pêchée la veille ; encore vivante. Je n'ai jamais cru qu'elle avait, comme toutes les femmes, un sexe caché sous les vêtements. C'était une simple bulle, humide, que le soleil diaprait de couleurs. Elle avait l'odeur des violettes écrasées contre la terre humide, les deux jambes collées sous la jupe et jointes par une boule de tissu. Et avec ça, l'image de la carpe revient : lourd, débattu, l'animal s'écrase contre le cœur de Jean. Soudain, la nuit est tombée ; une personne de l'accueil sort pour l'appeler ; lui parle de clefs, lui demande s'il va bien. Jean ne pensait pas qu'une personne pût encore s'inquiéter de lui ; c'est qu'il est moite et ruisselle, toutes ses tripes sont moites et ruissellent. Surtout, dans ses tripes, c'est Myriam qui est la plus moite, la plus ruisselante, et qui ressemble à de la pluie. Perdu dans une rêverie, il revient, comme si ça clignotait, à l'image de la carpe : poisson d'eau douce, animal fuyant, il voit Myriam remonter le cours des fleuves, obstinée et nue. Seules ses narines ouvrent le long des flancs deux minces ouvertures : c'est la bulle, simplement.

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14 janvier 2022 5 14 /01 /janvier /2022 10:35
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12 janvier 2022 3 12 /01 /janvier /2022 14:24

C'est sûr qu'on aurait vu d'abord les baleines,
Gémissantes, les baleines saignantes, dans ces
Corps fauchés comme une seule chair vivante,
C'est sûr qu'on n'aurait su que faire de toute
Cette neige pourrissante, large plaie noire au
Cuir des baleines, c'est sûr qu'on
Serait l'œil et le bras qui dépècent, la plus large
Tristesse,

 

C'est bien sûr, on aurait désossé la carcasse vivante,
La charogne aux mille graisses, et tous ces gestes, on
Les eût fait dans une sorte
D'allégresse,

 

C'est sûr qu'on aurait d'abord vu les baleines
Frémissantes, larges corps pourris d'une fin
D'hiver, pareilles aux rivières, fleurons d'une
Sorte d'immobile carrière,

 

C'est sûr

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30 décembre 2021 4 30 /12 /décembre /2021 20:26

Je suis parcourue par des images. Il y a par exemple l'image des lignes de vie : certaines sont droites, puissantes et lancées, à toute allure, vers l'horizon. D'autres lignes de vie ne sont pas comme ça.

 

Elles sont semblables à des arbustes, tordus par l'intervention d'une main humaine – le fil de fer secoue le bois tendre ; l'arbuste se gorge de nœuds ; les nœuds, tous, sont tendrement envahis par la pourriture.

 

Ces lignes ressemblent à l'allumette qu'on frotte contre la boîte, et qui casse. On ne fait pas de feu depuis les arbustes nains, tordus ; ni depuis les allumettes brisées par la secousse. Il fait un froid glacial de ce côté-là des images.

 

La première fois que j'ai utilisé, en mon fort intérieur, l'image de l'arbuste contrarié, j'ai eu honte. J'ai pensé à toutes les mains humaines qui avaient touché mes amies ; avais-je le droit de penser à leur peau comme à des écorces écharpées par le fil de fer ? sans doute pas.

 

Si j'avais pensé à l'image du corps qui prend souche et qu'on arrache, pour le transplanter ailleurs – puis qui flétrit, je l'aurais avoué. Mais ces images ne sont pas celles des lignes de vie.

 

Le bois pourrit sous le fil de fer, et se couvre d'une mousse humide. La main qui touche, comme la griffe d'un rapace blessé par le mulot, pourrit aussi. Des fées, puis des farfadets, parcourent la forêt et ramassent au pieds des arbres les buissons écorchés.

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26 décembre 2021 7 26 /12 /décembre /2021 12:45

Si j'étais — Emily
Luciole, ou bien lumière
Je m'éteindrais Soleil — tourné

 

Si j'étais — devenue
L'infâme pétrie comme une
Lumière — nue l'échancrure à

 

Mon épaule —
Si j'étais Emily Ton corps
Nu — poussière — corps couvert

 

De cendre — juste retour
À la poussière — au passé

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14 décembre 2021 2 14 /12 /décembre /2021 15:01

Quel est ton vœu le plus cher ?, demande sa marraine, la fée, à la très jeune poétesse.

 

La très jeune poétesse est assise à califourchon sur une branche de noyer, de poirier,

 

De pommier, sur une branche d'arbre fruitier, et réfléchit. C'est question sérieuse, et

 

La très jeune poétesse s'occupe, d'ordinaire, de rimes, d'allitérations, de plumes et de

 

Goudron, elle détruit ce qu'on lui donne, elle massacre le sonnet, l'hexamètre, la rose

 

Et le geai bleu, alors, les souhaits ? la très jeune poétesse formule un souhait tout inv-

 

Ersé, voici le souhait : "Je voudrais, marraine, que les hommes n'eussent jamais écrit,

 

De poésie. Ils m'auraient laissé le champ libre, et les organes aussi." Lestement, vrai

 

Petit écureuil, la poétesse se laisse glisser au pied de l'arbre, et part en riant.

 

                                                                                                                                             Est-il

 

Du ressort des fées, de faire qu'une chose si vaste, n'eût jamais existé ? se demande

 

La marraine en grimaçant. La très jeune poétesse court, court, jusqu'à son carnet. Il

 

Faudrait que la poésie n'eût jamais existé. Ni les rimes sonores ni les sonnets, encore

 

Moins l'hexamètre et la branche de mûrier. Elle griffonne, la toute jeune, à l'intérieur

 

Du carnet, tout ce qu'il faudrait : ni muse ni maître, les racines, les origines, la pluie

 

Et les neves, tout sera détruit par la fée. La fée hésite, panique, mais un souhait est

 

Un souhait : tout pur, et sacré.

 

                                                      Jamais les hommes n'ont écrit de poésie. La toute jeune

 

Fille est souveraine, Enheduanna est la seule reine, et tout reste encore à inventer : le

 

Sonnet, la branche de mûrier, l'oiseau qui chante sous les neves, les fleurs très roses et

 

Même les clichés – décompte et prosodie, aède et grande Idée, débat du mot qu'on dit,

 

Pour l'oublier. La très jeune poétesse n'est poétesse que dans l'idée, elle grimpe légère

 

Aux branches du noyer, aux branches du poirier, de l'arbre au tronc noué, depuis des

 

Siècles le siège de toutes les fées.

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10 décembre 2021 5 10 /12 /décembre /2021 21:22

C'est longtemps que ça plane, puisque c'est
Redouté, ça ressemble à une plaie, car si le
Poison, pour toi, c'est comme la vérité, que
Feras-tu de l'escalier ?

 

Imagine : tu es toute chienne, fidèle, on t'
A mordue puis égarée, ton corps est tout
Pelé : tu dois descendre les escaliers. On
Ne t'y a, jamais, préparée.

 

Imagine : depuis longtemps tu planes, tu
Serais l'oiselle, dans toutes les plumes tu
Serais l'emberlificotée, gueule ouverte et
Blasphèmes.

 

C'est longtemps que ça rôde, comme un
Poison de vérité, tu serais l'oiselle, la toute
Administrée, fondue, sac de goudron et de
Plumes, une toute écervelée.

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6 décembre 2021 1 06 /12 /décembre /2021 17:11

Quelquefois, je me prends à regretter que l'étiquette "jeune fille" ne puisse plus m'être prêtée – je suis, désormais, une "jeune femme". Je me demandais, convoquant le conte de la jeune fille qui porte un baquet sur la tête (il fallait qu'elle fût épousée pour ses qualités morales, et non pour sa beauté), pourquoi cette étiquette-là me manquait, et quel prestige j'avais pu, des années durant, lui associer. Il y a quelque chose de svelte et de lumineux, dans jeune fille (bien sûr, pas dans la "jeune fille", concept sexiste, de Tiqqun).

 

Cette sveltesse, cette lumière, me viennent évidemment de l'innocence qu'on leur prête – dans les contes, la littérature, dans les films et les discours... la jeune fille de 15, 16, 17 ans, celle qui est blonde (forcément), douce (forcément), et dont les yeux bleus vous remuent l'âme.

 

Alors, cruelle avec moi-même, je me suis explorée plus en profondeur : d'où vient l'innocence des jeunes filles ? d'un défaut d'éducation. Jeune fille = être privé(e) de connaissance. Les jeunes filles (de la bourgeoisie, au 19e siècle, du moins) étaient savamment ôtées du monde tel qu'il va, avec ses boues et son lucre ; ôtées de la sexualité crasse, et de l'usage qu'on pouvait souhaiter de leurs corps sveltes – elles étaient, innocentes et blanches, objets de tous les fantasmes. Et des miens également, car j'ai été pétrie de la même pâte que ce jeune homme d'un autre siècle. Imaginez, imaginez seulement ! une qui ne sait rien, n'a pensé qu'aux anges, qu'aux rires ; une dont la peau, troublée quelquefois, n'a réagi qu'aux caresses du vent, à l'odeur des roses ; une qui ne sait ni latin, ni mathématique, mais brode doucement, et tisse, peut-être.

 

Je me suis perdue. Ce sont ces êtres amputés qu'on désirait – car tellement, si tellement ôtés du monde – un artifice de la civilisation, le plus pur – drôle d'alliage qui ne prédisposait qu'au malheur – qu'à s'écraser au sol la nuit de noces. Et c'est de ce fantasme un peu putride dont je me rends coupable, lorsque je me regrette jeune fille.

 

J'ai été, en un sens, une vraie jeune fille. Jusqu'à mes 18 ans, je suis restée vierge – de tout désir, de tout plaisir – vierge, parce que ce mot venait désigner, en moi, une sensualité neuve et intouchée. C'est le corps, le désir d'un jeune homme – presqu'un du siècle passé – qui m'ont dépucelée. Je ne comprenais pas grand-chose aux invites de l'autre sexe, à ses désirs, et jamais je n'envisageai qu'un garçon ait pu, un soir, se masturber en évoquant mon image. Je me demande combien sont-elles, les jeunes filles comme je le fus – privées de connaissance – mais, dans le même mouvement, jeunes filles troubles – gavées de littérature, à défaut du reste. Sapientes et bas-bleus, comme on a pu dire, mais innocentes.

 

L'attrait du mot : sveltesse et lumière, un caillou qui longuement ricoche. C'est un attrait coupable – autant que peut l'être une virginité, vraie, dans notre siècle.

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