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6 décembre 2021 1 06 /12 /décembre /2021 17:11

Quelquefois, je me prends à regretter que l'étiquette "jeune fille" ne puisse plus m'être prêtée – je suis, désormais, une "jeune femme". Je me demandais, convoquant le conte de la jeune fille qui porte un baquet sur la tête (il fallait qu'elle fût épousée pour ses qualités morales, et non pour sa beauté), pourquoi cette étiquette-là me manquait, et quel prestige j'avais pu, des années durant, lui associer. Il y a quelque chose de svelte et de lumineux, dans jeune fille (bien sûr, pas dans la "jeune fille", concept sexiste, de Tiqqun).

 

Cette sveltesse, cette lumière, me viennent évidemment de l'innocence qu'on leur prête – dans les contes, la littérature, dans les films et les discours... la jeune fille de 15, 16, 17 ans, celle qui est blonde (forcément), douce (forcément), et dont les yeux bleus vous remuent l'âme.

 

Alors, cruelle avec moi-même, je me suis explorée plus en profondeur : d'où vient l'innocence des jeunes filles ? d'un défaut d'éducation. Jeune fille = être privé(e) de connaissance. Les jeunes filles (de la bourgeoisie, au 19e siècle, du moins) étaient savamment ôtées du monde tel qu'il va, avec ses boues et son lucre ; ôtées de la sexualité crasse, et de l'usage qu'on pouvait souhaiter de leurs corps sveltes – elles étaient, innocentes et blanches, objets de tous les fantasmes. Et des miens également, car j'ai été pétrie de la même pâte que ce jeune homme d'un autre siècle. Imaginez, imaginez seulement ! une qui ne sait rien, n'a pensé qu'aux anges, qu'aux rires ; une dont la peau, troublée quelquefois, n'a réagi qu'aux caresses du vent, à l'odeur des roses ; une qui ne sait ni latin, ni mathématique, mais brode doucement, et tisse, peut-être.

 

Je me suis perdue. Ce sont ces êtres amputés qu'on désirait – car tellement, si tellement ôtés du monde – un artifice de la civilisation, le plus pur – drôle d'alliage qui ne prédisposait qu'au malheur – qu'à s'écraser au sol la nuit de noces. Et c'est de ce fantasme un peu putride dont je me rends coupable, lorsque je me regrette jeune fille.

 

J'ai été, en un sens, une vraie jeune fille. Jusqu'à mes 18 ans, je suis restée vierge – de tout désir, de tout plaisir – vierge, parce que ce mot venait désigner, en moi, une sensualité neuve et intouchée. C'est le corps, le désir d'un jeune homme – presqu'un du siècle passé – qui m'ont dépucelée. Je ne comprenais pas grand-chose aux invites de l'autre sexe, à ses désirs, et jamais je n'envisageai qu'un garçon ait pu, un soir, se masturber en évoquant mon image. Je me demande combien sont-elles, les jeunes filles comme je le fus – privées de connaissance – mais, dans le même mouvement, jeunes filles troubles – gavées de littérature, à défaut du reste. Sapientes et bas-bleus, comme on a pu dire, mais innocentes.

 

L'attrait du mot : sveltesse et lumière, un caillou qui longuement ricoche. C'est un attrait coupable – autant que peut l'être une virginité, vraie, dans notre siècle.

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