Chardon_bleue est arrivée, avec son corps taillé dans deux traits noirs, contrastés ; Chardon_bleue tombe, mais ne tombe pas vraiment ; elle subit la poussée d'une force légère, persistante ; elle est envahie par un très lointain bourdonnement, son corps de chair ne compte plus, ou n'est plus que véhicule pour la pensée, le remous, les marées. Va-et-vient dans l'espace, corps lâché, gourmette de chair tendue vers un seul point, lequel est lumineux aussi bien qu'il est distant.
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pimpr3n3ll3 est venue comme on se taille deux membres, un visage et puis un buste clairs. Trois grands coups de pinceaux font corps, bien sûr inaltérable – et font bien illusion.
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À son tour, //ravie//ravie// est apparue. Elle n'est plus qu'une grande lumière traversée par d'autres silhouettes, qu'elle ne voit pas mais qu'elle sent. Elle soupçonne qu'en ce point, angle carré et confortable, elle est bien seule ; lorsqu'elle s'en extirpera – de ce petit coin doux qu'est son dernier poème – elle rejoindra la foule muette.
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prolixe_ est agenouillé sur le sol dur d'une chatbox, parmi d'autres corps serrés, agenouillés. Parmi les corps celui de pimpr3n3ll3 est debout, se dilate peu à peu dans l'espace brun. prolixe_ savoure la nuance de chaleur de l'endroit d'où il regarde, de tous ses yeux, les autres parler.
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Une joute est savamment entretenue entre trisstrisstan et pavot66. Le premier s'étire, s'étale, coule comme de la boue – d'un seul mouvement sec et frénétique – tandis que la seconde pique et pince, donne de petits coups de son pied tendu. pavot66 se sent comme solitude, mince rai de lumière dans l'instertice, elle occupe le terrain à moitié, elle renoncera bientôt à l'occuper et traînera sa petite présence auprès de tous les corps agenouillés, sur le sol dur de la chatbox – sol de réconfort, union dans le cercle pour les petites présences douces.
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Quelques-uns quadrillent l'espace. D'autres n'en occupent, fermement, qu'une portion minuscule, coincée entre deux axes. Ma portion minuscule, à moi qui vous écris, est précisément délimitée. Parfois, elle se décroche et s'éloigne, mais je la ramène vers moi d'un coup sec. J'y installe, comme autant de plantules, mes poèmes – à intervalles si réguliers qu'on dirait que j'utilise un mètre. Il n'en est rien : tout pousse calmement. Je reviens parfois vérifier que la lumière est bonne ; parfois, quand le sabot des biches a fendu les travées, je m'agenouille pour réunifier la terre brune. Tout est net, lumineux, dans cet espace que vous ne faites que traverser – je vous devine. Je devine des corps, des corps pourvus de regard – mais je ne peux deviner ni le visage des corps, ni même ce qu'exprime leur mouvement : plaisir, répulsion ou indifférence, à intervalles réguliers. Quelquefois vos corps se figent et, derrière la balustrade, m'adressent la parole ; je les salue, puis je me glisse moi aussi, rapide, hâtive, dans le coton de vos poèmes. Je ne vous adresse la parole que rarement, et comme de loin, à vous Chardon_bleue, et pimpr3n3ll3, et //ravie//ravie//, et prolixe_, et trisstrisstan, et pavot66.
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On dirait que vous habitez trop rarement vos espaces. Seule Chardon_bleue prend soin de disposer, tous les jours, de nouveaux menus objets dans sa parcelle. Les vôtres prennent la poussière et s'embuent, s'éloignent, tandis que vous gisez agenouillé·es sur le sol dur de la chatbox. Je vous en fais le reproche : habitez plus souvent, et un peu mieux, vos jolies parcelles !