Quel est ton vœu le plus cher ?, demande sa marraine, la fée, à la très jeune poétesse.
La très jeune poétesse est assise à califourchon sur une branche de noyer, de poirier,
De pommier, sur une branche d'arbre fruitier, et réfléchit. C'est question sérieuse, et
La très jeune poétesse s'occupe, d'ordinaire, de rimes, d'allitérations, de plumes et de
Goudron, elle détruit ce qu'on lui donne, elle massacre le sonnet, l'hexamètre, la rose
Et le geai bleu, alors, les souhaits ? la très jeune poétesse formule un souhait tout inv-
Ersé, voici le souhait : "Je voudrais, marraine, que les hommes n'eussent jamais écrit,
De poésie. Ils m'auraient laissé le champ libre, et les organes aussi." Lestement, vrai
Petit écureuil, la poétesse se laisse glisser au pied de l'arbre, et part en riant.
Est-il
Du ressort des fées, de faire qu'une chose si vaste, n'eût jamais existé ? se demande
La marraine en grimaçant. La très jeune poétesse court, court, jusqu'à son carnet. Il
Faudrait que la poésie n'eût jamais existé. Ni les rimes sonores ni les sonnets, encore
Moins l'hexamètre et la branche de mûrier. Elle griffonne, la toute jeune, à l'intérieur
Du carnet, tout ce qu'il faudrait : ni muse ni maître, les racines, les origines, la pluie
Et les neves, tout sera détruit par la fée. La fée hésite, panique, mais un souhait est
Un souhait : tout pur, et sacré.
Jamais les hommes n'ont écrit de poésie. La toute jeune
Fille est souveraine, Enheduanna est la seule reine, et tout reste encore à inventer : le
Sonnet, la branche de mûrier, l'oiseau qui chante sous les neves, les fleurs très roses et
Même les clichés – décompte et prosodie, aède et grande Idée, débat du mot qu'on dit,
Pour l'oublier. La très jeune poétesse n'est poétesse que dans l'idée, elle grimpe légère
Aux branches du noyer, aux branches du poirier, de l'arbre au tronc noué, depuis des
Siècles le siège de toutes les fées.