Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
4 mars 2020 3 04 /03 /mars /2020 01:23

Je ne sais plus très bien quelles émotions je fuis ou je cherche dans la ville, en montagne, dans la forêt, au bord des canaux, sur les ponts qui enjambent les voies ferrées ; quand je marche je contourne les émotions. Je les laisse venir, refluer, comme des vagues. Depuis plusieurs mois, je marche à leur rencontre car je crois pouvoir les reconnaître si je les laisse venir à ma rencontre. Je me demande si mon corps est capable de transmuer les émotions en milliers de pas. Je me demande si mon corps profite de chacun des kilomètres que je lui fais parcourir pour dénouer les émotions. Elles viennent à reculons puis s'embrouillent entre mes deux jambes, dans une flaque de goudron. Je saute par-dessus les passages piétons. Je m'emmêle les pieds puis je contourne les rond-points. Tous les trottoirs de la ville connaissent le bruit de mes pas. Dans l'herbe mouillée des parcs je me perds en conjectures. Depuis quelques mois je débrouille mes émotions à coups de pieds sur le goudron. J'ai cassé trois paires de talons, deux lanières de sandalettes, sur le bord tranchant de mes émotions. Mes pieds ont bleui lorsque la pluie venait, au gré de mes émotions. La douleur m'a parfois empêchée d'enfiler mes chaussures. Je suis partie sans trêve à la poursuite de quelque chose de trop diffus pour que je me l'explique ou que j'aie envie d'en parler avec vous. Je ne sais plus très bien ce que je cherche dans la ville, au bord des lacs, sur les trottoirs humides, dans les parcs immenses et vides de l'hiver. Je ne comprends pas beaucoup mieux les émotions qui me traversent que je ne les ai comprises lorsqu'elles se sont jetées sur moi, il y a quelques mois. Les sauvages. Nous nous sommes entraînées si loin que nous y avons perdu beaucoup de petites choses. Les muscles de nos émotions sont durables mais ne les expliquent en rien. Nous sommes perdues. M. est fière de la manière dont mes émotions ont su me rendre à la ville, tout en ignorant leur part de responsabilité dans l'affaire, je crois. Mes émotions et moi sommes perdues et sculptées à la mesure de mois d'errances. Mes seins se sont amenuisés. Ma bouche s'est crispée sur une grimace indifférente. Il n'existe plus pour mon corps de modèle fiable, bien que les longues enjambées de mes émotions lui aient offert un tempo. Les noms des rues se succèdent, comme les sapins de la forêt, le goudron des chemins. Je n'ai plus pour boussole qu'une sourde détresse, voire une grande joie. Depuis plusieurs mois, je marche au gré d'émotions contradictoires, diffuses et violentes.

Partager cet article
Repost0

commentaires