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4 mars 2020 3 04 /03 /mars /2020 17:16

Lorsque j'avais douze ans, j'ai commencé à écrire. J'avais reçu pour mon anniversaire un ordinateur dont le bruit allumé ronronnait doucement. Les touches de son clavier s'enfonçaient sous mes deux doigts tendus, clac et clac, et quelques années plus tard, dans l'un de mes premiers poèmes, je parlerais de clavier-piano. C'était ça, bien sûr, mon instrument.

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Mon beau-père avait rangé dans un placard l'intégrale des Thorgal, je rêvais d'Aaricia en parturiente. Aaricia et Louve pouvaient bien se débrouiller sans les hommes. Alors, j'écrivais des débuts de roman dans lesquels des jeunes filles sages attendaient qu'on trouve une solution pour elles : on avait décimé leur famille, leur village, leur contrée et, bien sûr, la solution de ce problème devait venir des hommes.

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Dans ce réflexe de passivité, je veux voir une forme de douceur, quand même.

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J'aimerais pouvoir me pardonner bientôt d'avoir cru que l'on me guiderait, que l'on me désirerait, que l'on me dirait quoi faire et comment distribuer les valeurs. Je pensais qu'une main se poserait un jour sur mon épaule, que mon désarroi était temporaire et que je ne serais seule qu'un temps.

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Des pages et des pages de documents Word étaient disposées dans un même fichier, que je n'appelais pas encore Des miettes. Je ne réglais jamais la couleur des caractères ou la taille des marges. J'ai mis longtemps à comprendre l'intérêt graphique de la justification du texte.

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Ma tentative de roman la plus aboutie mettait en scène un personnage nommé Hélène. Elle découvrait une forme obscène de jouissance dans la trahison. Je ne mens pas vraiment, lorsque je dis que Genet est en moi depuis toujours.

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J'avais treize ans, je crois, quand j'ai ouvert mon premier skyblog. Il a disparu du jour au lendemain, j'en ai donc créé un autre. Puis un autre, qui faisait office de journal extime. Et d'autres encore, jusqu'à aboutir à la fiction d'Eunice. Elle perdait sa meilleure amie, et du même coup, prenait conscience de l'amour qu'elle lui avait porté. Au bord d'un puits, Eunice pleurait de honte et de désespoir. Et moi aussi.

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C'est un autre roman, tout aussi éthéré, qui m'a menée à Jeunes Écrivains.

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C'est l'histoire d'Eunice, que je retrouverais transmuée dans Le Palais de glace, qui explique le mieux le choix de mon pseudonyme.

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On peut se refaire un nom et une existence. L'ordinateur rose de mes débuts, devenu lent et peu pratique, a été remplacé par un mac blanc. J'ai crapahuté pendant des mois, puis pendant des années, sur le forum et comme Pasiphaé. J'ai fait l'expérience de l'amour hétérosexuel pour comprendre qu'il allait falloir renoncer à mes croyances dans le sauvetage.

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Je ne sais pas bien ce qui de ma condition de jeune fille a pu me contraindre dans l'écriture. Ce n'étaient sans doute pas que des fantasmes de sujétion ; en miroir, je crois désormais comprendre une autre chose, profonde et douloureuse.

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On m'a dit que je ne saurais jamais écrire. On m'a beaucoup répété que les gens comme moi devaient se cantonner aux livres subalternes. C'était dans le sang, et on ne lutte pas contre sa propre essence. On la réalise.

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Après avoir essayé de m'arracher les seins, avoir supplié Dieu de m'expliquer pourquoi il m'avait réduite à ce pauvre partage, j'ai décidé de faire mentir le destin. J'en suis encore là. Pas bien avancée, mais un peu moins contrainte par la force d'inertie qu'il nous impose.

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J'écris encore sur un ordinateur, petit. J'écris beaucoup depuis quelques mois. Je retrouve une certaine énergie, la même que lorsque je suis arrivée sur le forum il y a dix ans.

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