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12 mars 2021 5 12 /03 /mars /2021 19:57

Quand je suis retournée aux arènes, c'était la deuxième fois. Je suis venue me placer dix mètres en dessous des gradins où la première fois, je m'étais assise. Je ne me souviens pas de ce que j'ai pensé des arènes, ou des gradins, ou des arbres, la première fois. La première fois que je suis venue aux arènes, je n'étais pas seule, et je ne regardais rien autour de moi.

 

Quand je suis retournée aux arènes, j'ai marché comme dans un terrain miné, c'est-à-dire doucement. Il n'allait pas falloir que les gradins m'explosent à la figure. Je marchais dans une allée grise, et je passais en revue quelques retours sur des lieux minés ; ils n'ont jamais explosé. La salle de cinéma du Champo n'a pas explosé, et les étoiles sont restées intactes au plafond ; l'avenue Gambetta n'a pas explosé, et le goudron est resté intact sur le trottoir.

 

Donc, les arènes non plus n'ont pas explosé. Je suis revenue dans les arènes avec l'esprit curieux, ouvert et tatillon. La première fois je n'avais rien vu, alors je voulais, à défaut de les faire exploser, regarder les arènes.

 

Il y a d'abord un long couloir gris dans lequel je me suis enfoncée, en serrant mes deux mains dans mes deux poches décousues. De grosses alvéoles bordaient le chemin, sales et d'une autre nuance de gris. On débouche sur le sable jaune des arènes ; c'est une scène vide et triste. Rien ne se passe dans ce cercle. Les gens sont plutôt assis autour, sur les gradins ; ils ne sont pas nombreux parce que c'est l'hiver.

 

Je me suis assise dix mètres en dessous des premiers gradins. Je ne voulais pas salir mon manteau ou ma jupe sur la pierre sale et grise. J'ai regardé autour de moi pendant longtemps. D'abord, j'ai regardé les gens qui étaient assis par petits groupes à intervalles réguliers. Il y avait une fille qui lisait toute seule, et un couple qui mangeait de la viande froide, et deux khâgneux qui parlaient de mythologie à une khâgneuse qui riait poliment, et quelques lycéens que je n'entendais pas. Il y avait sous les fesses de chaque personne du gradin froid et sale.

 

Dans le sable, au centre, il n'y avait rien. Le sable ne s'est pas soulevé sous le souffle de l'explosion. Beaucoup d'arbres, sur les côtés des arènes, faisaient de l'ombre et perdaient des feuilles. Beaucoup de feuilles encombraient les petits chemins, et le haut des gradins.

 

Alors, de mon sac, j'ai sorti ma bouteille d'eau et j'ai bu, une eau très froide. Je ne faisais rien d'autre que boire l'eau, écouter les gens sur les gradins parler de mythologie ou ne rien dire ; le couple s'embrassait, alors j'ai pensé aux bouches pleines de viande froide, aux dents choquées les unes contre les autres. J'ai pensé, un moment, que j'étais déçue.

 

De mon retour aux arènes j'attendais le dénouement d'une histoire qui ne s'est pas dénouée. J'ai mieux vu les arènes, c'est-à-dire que j'ai vu les poubelles contre les poteaux, les bancs dans les alcôves, l'aire de jeux en contrebas. C'est-à-dire que les arènes sont devenues une chose sale et austère qu'elles n'étaient pas.

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