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22 octobre 2020 4 22 /10 /octobre /2020 00:03

J'ai des monstres hurlants dans le ventre ne rend pas compte de mes sensations réelles, mais l'écrire me rassure. J'ai envie de monstres hurlants, de créatures, de bêtes et d'ongles fichés dans le cœur relèverait de la fiction totale. Je désire un monstre dont le pénis serait réduit en charpie sous l'action de ma main serait une sorte de rêve éveillé. Je suis baroque et sensible, ou l'inverse.

 

Un deuil a fini, un autre commence. Je ne suis pas très douée au jeu des douleurs : les classer. Celle-là monopolisait chacune des secondes des jours de ma vie, pendant un an. Elle devenait parfois aigüe ; elle n'était pas communicable. Celle-ci, la nouvelle, revient par vagues et me terrasse, mais le plus souvent niche dans les tréfonds des souvenirs. Cette autre était inadmissible et gluante, rapetissait toutes les sensations – elle s'est bien vite achevée. Ces douleurs n'interfèrent pas. C'est comme si plusieurs chemins de vie, en elles, se prolongeaient distincts. Les insécurités ne leur semblent même pas liées.

 

Si je lis à nouveau l'ensemble du journal sentimental, je me fais la réflexion que, décidément, il est difficile d'écrire à propos du bonheur. Même chose pour les joies, encore que – je me souviens des bulles musicales au chalet, des légumes épluchés pour ma sœur, du vent dans ma robe, au bord du lac. Des sensations d'ivresse aussi. Alors tout ça je l'ai écrit.

 

Hier soir, nous avons pris au débotté une décision, J. et moi. Un hôtel de luxe du quartier proposait une offre rigolote, en raison du couvre-feu : dîner au restaurant de l'hôtel, puis dormir sur place. Prolonger une soirée dans le même lieu, et oublier qu'on habite en bas de la rue. Les vitres même déforment si bien le boulevard qu'il semble féérique. Ces moments sont des pièges qui fonctionnent très bien sur moi : on vous vend une quinzaine d'heures de luxe, de délicatesse, de bonne chère ; un lit très douillet, la sensation de creuser dans l'espace des jours une bulle heureuse. Alors le piège s'est refermé sur nous, nos conversations, nos peaux serrées l'une contre l'autre. Et j'ai aimé ça. Je n'ai pas su prendre de recul critique, ni être ironique. Le fait que la plupart des client·es de l'hôtel soient très riches et habitué·es, semblait-il, aux services et sourires du personnel ne m'a pas beaucoup dérangée. J'ai la conscience qui s'endort.

 

Depuis que je connais J., j'accepte ces moments convenus. Nous n'avons jamais fêté la Saint-Valentin, car "cela ne se fait pas, quand même", parmi les nôtres, mais nous pourrions aussi bien. Le parfum au fenouil de la crème de jour de l'hôtel, les petits sachets de tisane Damman qu'on laisse infuser dans le service en porcelaine, se rouler l'un à l'autre dans des draps précieux, lavés pour nous : toutes ces choses me conviennent.

 

Nous sommes de retour chez nous, cinquante mètres plus bas. Le bruit de la rue n'est filtré par rien. Nos propres draps sont froissés et mal assortis. Le parquet de l'appartement est jonché de livres et d'objets ; nous n'avons pas le réflexe de les ranger au fur et à mesure, si bien que tout chez nous se prête au chaos. Je me suis tordu les doigts de pieds en marchant sur un livre ; j'écume les restes de l'alcool de la veille. Le cocktail au romarin, le verre de saumur ; un commentateur, sur tripadvisor, déplorait que la carafe à whisky fournie dans les chambres ne soit pas en cristal. C'était la seule bévue.

 

Je rentre par effraction dans ce monde de luxe, je ronronne et m'endors.

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