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3 août 2020 1 03 /08 /août /2020 23:30
J'ai quitté le chalet. Je n'ai pas éprouvé d'émotion. Les sapins, les ravines, les éboulements rocheux s'étaient progressivement laissé happer par l'oubli le plus pernicieux ; une fine couche de poussière comme échappée de mes deux mains ouvertes. Ou, peut-être, l'envahissement progressif de la structure du chalet par la famille : oncle et cousines, répandus partout ; la cave, jonchée de valises, de vêtements épars... ce n'était plus l'endroit que j'avais élu, sombre et frais, pour faire du yoga le soir. Le sol, visibles par tous, ce n'était plus, par exemple, une esplanade où se rouler en boule. Et même la cuisine où j'épluchais, coupais les fruits avec lenteur, est devenue une pièce étroite et chamarrée, où les tâches ménagères s'accomplissaient dans une hâte rieuse.

Je voulais partir et je voulais rester. Je voulais prendre une décision radicale qui m'aurait clouée aux quatre angles du chalet et au talus. J'ai vu les fleurs progressivement s'ouvrir et faner. J'ai vu les framboisiers sur les chemins, peu à peu, donner des fruits verts. Les fraises des bois ont disparu les unes après les autres, sans doute mangées par le renard.

Je n'ai plus vu le loup, le blaireau, les cerfs ou les lapins. Je suis moins sortie. Pourtant, l'avant-veille de mon départ, une curieuse énergie m'a menée au bord de la forêt, parmi les bûches fraîchement tronçonnées et le fouillis des branches sèches ; j'ai dansé. J'ai voulu, une dernière fois, soulever la poussière et les épines, me concentrer sur les formes – brouette, fleur jaune, dalles fissurées posées par-dessus la terre. Danse et bonheur ont, d'évidence, partie liée. J'ai senti avec angoisse que ces dernières heures de joie allaient se fissurer lorsque je rentrerais dans le chalet, abandonnant pour de bon la solitude de ce mois de juillet.

Je ne ressens aucune joie. Le paysage dans lequel je suis en ce moment ne m'en procure pas. L'étang du Ter, les oiseaux qui le traversent, les reflets du soleil sur son eau... ce n'est rien.

J'évoque une dernière fois les fourmis rouges qui me pinçaient le mollet. M., la voisine – une cousine éloignée –, a voulu étouffer la fourmilière lorsqu'elle est arrivée. Elle a versé du ciment brûlant dans le trou. Mais les fourmis ne cessaient jamais de revenir. Et moi, qu'elles blessaient, je n'avais pas eu l'idée de les percevoir comme un problème. Je mets du temps à comprendre que les choses du monde peuvent être perçues ainsi ; qu'on peut désirer lutter contre les choses du monde. Tuer les fourmis. Colmater les fourmilières. Je fais avec. Les papillons de nuit se cognent aux ampoules, mais c'est normal. Si les douleurs sont minuscules, elles font partie des choses du monde.
 
 
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