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19 avril 2020 7 19 /04 /avril /2020 18:07

1.

 

Tu es dans ta chambre. Tu regardes tes mains qui font un pont sous la couette et l'agitent ; tu as dissimulé tes pieds, ton visage et ton ventre, et tu remues très doucement. Le drap fait quelque chose en se plissant. Un bruit d'araignée, ou d'oiseau. C'est le bruit que font les draps quand tu les laves ; ils sont frais.

 

Le soleil te brûle la peau, puis te déforme le visage. Tu songes aux paysages. Tu songes au voisin d'en face qui, tous les soirs, porte le même pull bleu et la même chemise sombre par-dessus. Son visage ne se décrispe jamais, c'est la peur ou l'angoisse ou l'attente qui conditionnent sa venue.

 

Tu penses aux choses que l'on attend. Avant de t'enfermer, tu t'étais mise à marcher tous les jours, beaucoup ; les quartiers s'étaient, peu à peu, décloisonnés ; la carte des arrondissements avait perdu de son autorité. Ton pied traînait sur le goudron des routes, sur les passage-piétons, sur les chemins du parc des Buttes-Chaumont ou du square d'Anvers.

 

Tu partais à la recherche d'une image précise, perdue dans le recoin de tes pensées. Elle ne te coûtait rien. Précisément, c'était une pièce de quelques centimes que tu perdais sur le trottoir. Ou précisément, c'étaient les pattes fangeuses d'un chien, d'un chat, d'autre chose.

 

Tu partais de plus en plus loin dans la ville ; tu te demandais si la ville était un espace permis. Tu allais parfois jusqu'à la rue Daguerre que tu ne faisais que croiser ; ou tu piétinais le parvis de la cathédrale en travaux ; ou tu débouchais sur le Père-Lachaise, quelquefois sur le périphérique.

 

L'image que tu poursuivais, précise et clinquante, avait la forme exacte de ton itinéraire ; c'est là, dans ce point précis, que je t'ai rencontrée. J'ai pensé au drap que tu agites, au bruit de l'araignée sous la couette, à la forme de ton itinéraire et de tes bras.

 

 

2.


 

Hélène barbote dans l'eau de son thé, au chaud, bien chaude ; elle vide la tasse d'un coup, lape ce qu'il en reste dans le creux de ses mains puis profite un instant de cette odeur de menthe fraîche.

 

On a voulu lui prouver combien elle était petite et mal faite : on lui a déroulé des raisons qui auraient dû la heurter. Mais elle s'est tenue droite dans le réduit qu'elle habite, droite devant le tiroir au fond duquel elle range quelques boîtes – une, ronde et couverte de papier de soie rouge ; une tout cabossée, en aluminium ; une dorée et brillante, avec un fermoir chantourné ; une enfin en plastique vert, couverte d'une étiquette mi déchirée. Ce sont les boîtes dans lesquelles elle range le thé qu'on lui offre.

 

Ses amies, nombreuses, lui en offrent à intervalles réguliers. Sarah lui offre des thés achetés dans de grandes boutiques luxueuses ; Valentine lui mitonne des mélanges avec les herbes qu'elle ramasse ; Marie en déniche lors de ses voyages en vélo ; Rébecca la prend comme point d'arrivée de la filière qui va de sa grand-tante en transitant par sa mère et elle.

 

Les amies d'Hélène ne sont pour rien dans la litanie avilissante qu'elle subit parfois : petite taille, corps contrefait. Tu as les hanches trop larges, le nez légèrement tordu, la peau, ça n'est pas tout à fait ça, la coiffure non plus, ta mèche tombe mal. C'est comme ça. Hélène s'assied sur le bord de son lit, ravie. Rien ne la picote ou ne la dérange. Elle se laisse tomber en arrière, doucement, touche le matelas de son dos, s'y enfonce et enfonce les doigts dans ses côtes.

 

Elle entend la voix de sa mère, elle entend la voix de ses tantes, elle entend la voix de plusieurs femmes et elle chasse la voix de sa mère, elle chasse la voix de ses tantes ; c'est facile. C'est comme un ballon piqué par une aiguille. J'aurais dû t'écouter, soupire-t-elle, et je ne le fais pas.

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