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13 avril 2021 2 13 /04 /avril /2021 14:46

Rim Battal, une poétesse dont je possède le recueil Les Quatrains de l'all inclusive – mais pas le recueil L'eau du bain, que pourtant je lorgnais il y a deux ans sur le présentoir de la Librairie de Paris – pose une question sur son profil Facebook :

 

 

Les contacts Facebook de Rim sont, pour une bonne part, des personnes qui écrivent de la poésie en 2021 ; en 2021, le mot âme a été utilisé des dizaines de milliers de fois dans la poésie de langue française. La mémoire poétique est cumulative, et c'est cela que vient titiller Rim : cette mémoire tellement chargée, et tellement, tellement lourde, que tout poète, toute poétesse, doit composer avec.

 

Le poète, la poétesse à sa table de travail, doit prendre les mots un à un, surtout les mots les plus utilisés, et bien les secouer pour voir.

 

Dans les commentaires, on a :
- celleux qui essaient de définir le mot âme
- celleux qui expliquent qu'il est dangereux, qu'iels ont tenté de le détourner, de le laver – le mot est sale ? ; de lui associer des contrepoints ;
- celleux qui, plus radicales et radicaux, le fuient comme une maladie mortelle
- celleux qui désamorcent la question par l'humour.

 

Sur mon blog, lesmiettes, il existe une fonction de recherche pleine page, ce qui tombe bien. Elle est d'ailleurs plutôt performante ; la première recherche, sans circonflexe, m'amène ici, et ici seulement :

 

 

Fausse piste ; quelle rupture de fin de vers !, dirait mon ami R.

 

Il faut donc être précise, et par l'accent ; puis trier, car sortent des poèmes et d'autres textes, qui n'en sont pas. En 2010-2011, je semble affectionner le mot âme dans mes nouvelles ; qui sont alors, pour l'essentiel, des histoires d'amoureux·ses qui tentent de se parler, et n'y arrivent pas.

 

8 poèmes sortent, qui contiennent le mot âme.

 

Voici leur titre :
- FINAMOR seul·e parfait·e amour.
- JE.
- Poème à l'autre amie.
- Le secret des oiseaux.
- La question de la forme dans la poésie contemporaine.
- Richesses de l'œuvre.
- L'amour ?
- L'Enquête sauvage

 

La dernière entrée est, en réalité, une suite de poèmes. 3 d'entre ces 55 poèmes écrits en 57 jours à la suite de Garcia Madeiro, contiennent le mot âme. Ce qui porte le nombre de mes poèmes contenant le mot âme à 10.

 

C'est beaucoup, ou c'est peu.
C'est le moment où j'aimerais être, comme mon ami Doliprane, capable d'utiliser des algorithmes pour interroger les contextes lexicaux du mot âme dans ces 10 poèmes ; mais Doliprane utilise ses algorithmes dans de plus vastes corpus, et il me dirait peut-être, à juste titre, que je peux manuellement explorer 10 poèmes sans me noyer dans le texte.

 

Allons-y.

 

3 de ces poèmes sont des poèmes postés sur le forum des Jeunes Écrivain·es via l'hétéronyme collectif FINAMOR, qui encourageait la poésie lyrique, amoureuse, et doucement niaise – donc presque un tiers de ces poèmes ont du mot âme une utilisation premier degré, décomplexée et sentimentale.

 

En voici les extraits :

 

11/03/18
"J'aime ta petite âme qui tremble."
"Tu dansais sur la corde raide lorsque nous nous sommes reconnues ; voix sans voix, âme de lumière."

 

30/09/18
"Que manquait-il, un-e enfant
dont l'âme ensoleillée,
un-e enfant gorgé-e de
légendes..."

 

09/01/19
"L'amour ? ce n'est pas ça, me dis-tu. Ce n'est pas cette obsession. Ce n'est pas se rouler en boule et espérer. Tu es malade. Tu perds le sens et la raison. Tu remues bien des choses sous ton cœur, à la surface de ton âme. Mais ce ne sont que des choses, et qui remuent."

 

Dans ces 3 poèmes, âme est synonyme d'identité profonde ; l'âme est lumineuse sous la fille discrète ; ou ensoleillée, chez l'enfant ; ou nauséeuse, pour la personne amoureuse. Il y a une "surface" de l'âme, qu'on peut remuer, et il y a des profondeurs, lumineuses.

 

LE PANNEAU D'AFFICHAGE DES POÉSIES D'AMOUR ANONYMES, topic dévolu à la trobairitz fictive FINAMOR, a été ouvert le 1/03/18 ; le compte FINAMOR a été vandalisé, c'est-à-dire supprimé, après le dernier poème posté le 27/07/20. Presque trois ans d'existence ; j'ai largement investi ce compte pour poster des poèmes lyriques, écrits avec le cœur ; ce genre de poèmes pour lesquels le "lavage" des mots n'est pas un prérequis. Je remarquerais pourtant une chose : je n'ai utilisé le mot âme qu'au cours de la première moitié de l'existence de FINAMOR, puis plus.

 

Cela m'indique peut-être une chose : être attentive aux dates. Il y a des mouvements de fond auxquels le mot âme doit plus volontiers s'associer.

 

Entre 2010 (ouverture de mon blog) et 2018, je n'utilise le mot âme dans aucun poème ; cela va à l'encontre de mes premières suppositions, qui allaient vers l'idée qu'une première période d'écriture, adolescente et naïve, se gargarise de mots à fort coefficient de poéticité. J'avais oublié un détail : j'ai commencé à écrire de la poésie en lisant Michaux.

 

Sur un site de citations – totalement décontextualisées –, il est dit que Michaux utilisa pourtant le mot âme dans la phrase : "Qui a l'âme élevée sans être fort, sera hypocrite ou abject." Je n'ai pas la patience de faire plus de recherches. Michaux utilise le mot âme en qualité de moraliste.

 

En réalité, le poème de FINAMOR de mars 2018 ouvre les vannes : c'est le premier à contenir le mot âme ; l'hétéronyme que j'ai partagé avec tant de poéètes·ses lyriques caché·es sous le manteau a déteint sur moi.

 

La dernière utilisation que j'aie faite du mot âme ne date pas d'un an ; il s'agit de "La question de la forme dans la poésie contemporaine.", le 3/08/20, un poème où je me bats la coulpe pour m'être trop peu préoccupée, jusqu'alors, de la question de la forme dans ma poésie – que lisais-je alors ? – et qui signe l'arrêt de l'utilisation du mot âme jusqu'à aujourd'hui.

 

 

Je me demande si, tout comme le poète qui répondait à Rim sous son statut, l'utilisation du mot âme ici est contrebalancée par effet de contraste ; on se gratte la cuisse, le nez, puis on pince gracieusement les doigts, jusqu'au bout de l'âme. C'est rudimentaire, cette ruse ! ça ne dédouane de rien !

 

Retournons à 2018. Les vannes sont ouvertes, je suis devenue la discrète trobairitz sans même m'en rendre compte. L'âme lumineuse, solaire, profonde... le 21/07, dans "Le secret des oiseaux.", un poème depuis publié dans la revue Revu – adhèrent-iels à l'usage lyrique-premier-degré du mot âme dans la poésie ? –, on peut lire ceci :

 

"La musique, ou la douleur,
Sont un repos pour une âme comme la mienne."

 

(il se passe des trucs entre)

 

"Trop tourmentées par les âmes,
Comme la mienne : poreuses et granitiques."

 

Ici, mon âme est certes géologique – et c'est drôle, tellement drôle, ce petit moment où tu saisis d'où te vient un poème – ici de Rilke réécrit par Adamov – "Je suis peut-être enfoui au sein des montagnes / solitaire comme une veine de métal pur" – et donc, peut-être, unie au calcaire par ce lyrisme racheté par Collot dans Le Chant du monde, un lyrisme non plus fermé sur l'intériorité mais ouvert sur le monde – ouf, on est rachetée par une pirouette théorique.

 

Quelques mois plus tard, en novembre 2018, c'est un autre type de pirouette qu'on peut utiliser pour racheter l'usage du mot âme ; dans le poème "JE." – je triche déjà dans le titre, sujet / forum des Jeunes Écrivain·es, lol, quelle bonne blagueuse je fais.

 

 

Ici, c'est d'une éducation par le numérique qu'il s'agit ; tout l'effet de contraste se niche entre la langue châtiée, emphatique et chantournée que j'utilise, et le propos : l'arrivée au sein d'une communauté numérique donc, le truc dont les snobs en poésie trouveraient à rire. Mais ce n'est pas que ça, bien sûr ; ici, c'est le corps absent qui pose question ; que sont les présences numériques ? je trouverais, plus récemment, d'autres analogies plus pertinentes – fantômes, corps de pixels, avatars sensibles – mais l'âme, qui ne pèse rien, comme les pixels...

 

Mai 2019. "Richesses de l'œuvre" appartient à une série ("Richesses de l'œuvre.", "Tristesses de l'œuvre.", "Discrétions de l'œuvre.") qui pratique, un peu à la manière de "JE.", l'egotrip au second degré.

 

 

Oh, je pourrais aller plus loin ! dans ce poème, c'est l'œuvre qui est "tourmentée et poreuse", quand dans "Le secret des oiseaux.", c'était l'âme. La vérité nue, c'est que j'aime disperser dans mes poèmes de petites, de minuscules intertextualités, des clins d'œil pour bonne lectrice (c'est-à-dire, essentiellement des clins d'œil pour moi), et ça n'a pas beaucoup plus de sens que ça. Je pourrais tirer le fil, dire qu'œuvre et âme sont d'un seul tonneau, mais ça serait mentir. Conclusion : l'égotrip, c'est l'effet de contrepoint. Décidément, je suis une vieille âme ironique (dès que je sors des atours confortables de FINAMOR).

 

Je repoussais l'Enquête sauvage loin de moi, parce que c'est plus compliqué. J'ai commencé l'Enquête le 12/11/19, pour la terminer 57 jours plus tard, le 9/01/20. C'était ma participation à une aventure d'écriture collective, liée à l'univers de Bolaño, l'écrivain chilien, et à son "détective sauvage" et personnage de jeune poète, Garcia Madeiro. Je me suis renommée pour l'occasion Pasifaea, et tout ça s'appelait Traque solaire (fille du soleil, ô fille du soleil, etc.)

 

3 entrées d'âme :
- fragment 49 : "Par exemple cette fille elle nous donne accès à une strate vraiment spéciale de son âme."
- fragment 40 : "J'ai, en mon / Âme, une ville tentaculaire"
- fragment 27 : "Quand Aquae / Aura dénoué tous les fils de sa propre enquête, quand la vieille / Voiture crachottante de dartyXXXI aura rendu l'âme, quand mira"

 

Une utilisation figurée, la troisième : et un cas de conscience en moins ! une vieille voiture qui rend l'âme, dans la poésie d'une autre personne, rien à examiner. Le fragment 49 rejoint les logiques de "JE." et "Richesses de l'œuvre." : contrepoint, ou ennoblissement de l'expérience numérique, on y évoque la lecture, au jour le jour, de poèmes, sur un forum d'écriture web.

 

Le fragment 40 pose problème. Examinons de plus près ; le mot dans l'économie globale du poème (le poème dans l'économie globale de la Traque solaire ? pas le temps).

 

 

Bon. Une ville, tentaculaire, illimitée, qui habite dans l'âme sans pour autant s'y confondre. Est-ce que l'âme, quand elle est habitée par une ville-pieuvre, est encore l'âme romantique ? je ne me souviens vraiment pas ce que j'ai essayé de faire avec ce poème. Est-ce que j'ai suffisamment frotté ? hein, dis ? et juste après, dans le fragment 39 – ordre antéchronologique –, c'est le poème Sión de la poétesse fictive Cesarea Tinajero qui est cité, par capture d'écran. On y voit trois figures. Un petit rectangle, d'abord sur une ligne, puis sur une courbe, puis sur une ligne complètement brisée. Comme un bateau progressivement pris dans la tempête. Un poème formaliste, ou un poème complètement lyrique. Tout dépend du point de vue.

 

*

 

Je crois que j'ai pris la question de Rim Battal très au sérieux.


Je vais essayer de tirer un bilan de tout cela :
- je n'utilise le mot âme dans ma poésie qu'à partir de 2018 – donc, de mes 25 ans.
- je l'utilise d'abord très au premier degré, protégée par une identité de poétesse médiévale fictive
- je l'utilise ensuite, dans mes propres poèmes, en le désamorçant – égotrip ou contexte geek
- ou en lui donnant les atours d'un lyrisme contemporain
- puis, une fois, une seule, dans Traque solaire, j'en fais n'importe quoi : un monstre, mutant, citadin

 

On ne tirera rien de tout ça, bien sûr, mais relire son œuvre par la petite porte, c'est...
 

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